Les
coutumes
Les coutumes indiquées ci-dessous
ont fait leurs preuves en Amérique du nord. Ce ne
sont pas des règles, mais seulement des exemples.
Le local des réunions
peut être public comme une école, une mairie,
une bibliothèque bien desservie par les transports
en commun, à condition dêtre disponible
en soirée. Le local peut être le domicile
dun membre du groupe. Ce peut être tantôt
chez lun, tantôt chez lautre, mais avec
le risque de semer ceux qui ont manqué une réunion
ou ceux qui viennent pour la première fois.
Quand le local de la réunion
est un lieu collectif, la clef du local nest jamais
entre les mains de lanimateur, mais entre celles d'un
autre participant, à tour de rôle, et cest
à chacun de sentendre avec son successeur.
Les préparatifs
comportent encore la liste des participants, les feuilles
affichant leurs prénoms, léventuel
thème de la réunion et naturellement la
date et l'heure. On prépare des gobelets, des assiettes
de carton, des mouchoirs.
Les sièges sont disposés
en cercle sans quil y ait de table au milieu. Des
sièges sont laissés vides pour des retardataires,
à qui lon fait seulement signe de sasseoir
sans que la réunion sinterrompe. Sil
sagit dune personne qui vient pour la première
fois, on lui donnera plus tard loccasion de se présenter.
Un animateur se place à
côté dun nouvel arrivant pour pouvoir
lui glisser de temps en temps quelques mots à mi-voix.
La plupart des groupes se
réunissent un soir de semaine, après
un repas tiré du sac qui commence vers 19 h.
Si lun ou lautre a apporté un gâteau,
tant mieux, mais quil ne sente pas obligé de
recommencer chaque fois. Une fois sonnée lheure
du partage proprement dit, on cesse de grignoter. La réunion
commence à lheure dite, par courtoisie pour
ceux qui sont arrivés à temps.
Lun des deux animateurs
ouvre la réunion en se présentant brièvement
comme endeuillé par le suicide de tel proche à
telle date et il invite chacun à se présenter
de même, pendant une minute environ. Lanimateur
annonce que la réunion sera un partage et un lien,
puis on observe une minute de silence, debout en se tenant
la main.
Plus dun groupe a remarqué
que certains gestes sont vécus comme apaisants. Par
exemple, dans les périodes dites des fêtes,
les participants commencent par se mettre debout en cercle,
tenant une bougie allumée. À tour de rôle,
chacun dit quelques mots ou observe un silence dédié
au défunt, puis il souffle sa bougie. Ensuite, les
nouveaux arrivants se présentent, sils le désirent.
Tôt ou tard, les
animateurs auront besoin de demander à un psychologue
les rudiments de la dynamique des groupes. En attendant,
leur rôle est de veiller à ce quon
saccepte mutuellement. Nul ne critique ce qu'a dit
une personne en deuil : déjà, elle
ne se sent que trop stigmatisée.
Un sentiment de culpabilité
écrase tous les endeuillés, spontanément
ou en lisant la lettre d'adieu. Il faut laisser ce sentiment
s'exprimer longuement. « Je n'ai pas su l'aimer ! »
« Je
n'ai plus droit au bonheur ! »
Lors d'une réunion
ultérieure, l'occasion viendra d'indiquer que la
proportion des suicides impulsifs, décidés
en moins de cinq minutes, donc non prémédités
et impossibles à prévoir, est bien
plus importante quon ne limaginait :
entre 40% et 24% (Williams 1980, Simon 2001).
Il faut le répéter pour déculpabiliser
les parents qui se reprocheraient de n'avoir pas vu venir.
Par conséquent, personne
ne peut se reprocher de n'avoir pas deviné. On
s'est aperçu en outre que beaucoup de jeunes suicidés
n'avaient pas envie de vraiment mourir, mais seulement de
chercher la paix, de ne plus souffrir.
Beaucoup d'autres étaient privés de leur libre
arbitre par une dépression, une ivresse, un alcoolisme
ou d'autres souffrances psychiques. Les endeuillés
ne pouvaient l'ignorer.
Les lettres écrites
avant les suicides expriment souvent leur souffrance de
façon contradictoire, affirmant Je te demande
pardon pour tout puis "C'est de ta faute."
Dans le deuil après
suicide, il est normal d'éprouver aussi :
- La détresse
post-traumatique décrite dans la Page
précédente. Il faut en attendre
la fin avant d'adhérer à un groupe d'entraide.
- l'incompréhension voire la colère
envers le défunt : « Il a gâché
ma vie ! » Cette colère s'étend
aux proches jugés gaffeurs ; aux psychiatres
qui n'ont ni vu venir, ni communiqué ; et
même à Dieu ou au destin. C'est bien plus
tard que la personne en deuil parviendra à pardonner
à tous et à elle-même.
- la honte, parce qu'on se sent jugé en
même temps que toute la famille, ce d'autant plus
qu'on remarque le silence gêné des proches.
On est "la femme dont le mari s'est suicidé" ;
- la crainte d'une fatalité héréditaire
et la crainte d'un autre suicide dans la famille.
- un état dépressif qui succède
à la colère. Le désir de mourir pour
rejoindre le défunt est exprimé une fois
sur deux, mais aussi la crainte d'un second suicide dans
la famille (voir le
suicide est-il contagieux ?). Si cet état
dépressif n'est pas permanent mais évolue
par vagues, il n'est en principe pas maladif et il ne
nécessite pas de médicaments antidépresseurs.
Le deuil lui-même évolue par vagues.
Par contre, un secours médical est nécessaire
si la personne ne s'intéresse plus à rien,
si elle ne veut voir personne, si elle se considère
comme coupable en tout et pas seulement envers le défunt,
et si sa pensée, sa mémoire et sa concentration
sont altérées (Amar).
- la tentation de l'alcool ou des drogues ;
- Plus tard prédomineront la solitude, l'absence,
le "plus jamais" (Hanus 2004).
Si un endeuillé sait
que les organes du défunt ont sauvé des vies,
mieux ne pas aviver de plaies en le révélant.
Iris Bolton a relaté,
jour après jour, le deuil de son fils dans son
livre "My son
My son
C'est seulement
dans les dernières pages qu'elle a multiplié
les conseils.
Par exemple, ne pas senfermer,
ne pas avoir peur de parler du défunt et de soi-même
en famille comme aux amis. Accepter la vérité.
Se pardonner, à soi-même comme au défunt
et aux autres.
Si lon est croyant, comprendre quun Dieu
aimant ne la ni voulu, ni permis. Ne pas cacher
les idées de suicide qui vous traversent.
Ne pas sévader dans lalcool, les
drogues, ni un excès doccupations. Sécarter
des donneurs de leçons. Observer que dautres
endeuillés survivent.
Enfin, choisir de survivre avec cette cicatrice. Ne
pas s'en contenter, mais tirer le meilleur de sa vie,
à commencer par les relations familiales et amicales.
Ces conseils récapitulent
son propre vécu. Au contraire, lanimateur
dun groupe dentraide se garde dêtre
un conseilleur. Il aide chaque endeuillé à
découvrir son propre chemin par lui-même.
L'animateur rappelle à
chaque réunion ce qui a pu être convenu au
sujet des fumeurs, de ceux qui doivent partir avant la fin,
de la prochaine réunion, de la recherche de nouveaux
membres et des cotisations.
Il peut proposer un thème,
par exemple : « Ce soir, il y a parmi nous
plusieurs pères qui ont perdu un adolescent. Quelquun
voudrait-il nous dire ce que cest quêtre
le père dun adolescent qui s'est enlevé
la vie ? »
Il nest pas utile que
chaque réunion dure plus de deux heures. À
la fin, lanimateur résume ce qui lui a paru
essentiel. Éventuellement, il propose une nouvelle
minute de silence, en cercle en se tenant la main.
La réunion suivante
se tiendra-t-elle dans une quinzaine de jours ou dans
un mois ? Au groupe den décider, et
bien sûr que personne ne se sente obligé
dy prendre part !
Dans une grande ville, il
est possible, trois fois par an, de grouper les personnes
en deuil pour un cycle de 8 réunions
hebdomadaires. Ou pour un cycle
d'octobre à mars avec deux réunions par mois.
Ils sont plus assidus, ils sont chaque fois les mêmes,
on n'est pas obligé de répéter à
de nouveaux arrivants ce qui a été dit.
La confiance s'installe plus vite pour aborder des sujets
qui bloquent, comme le pourquoi du suicide, les reproches,
le sentiment de culpabilité. L'impression de réconfort
arrive plus tôt.
Au bout du deuil, assimiler ce quon avait aimé
chez le défunt, lui demander pardon et lui accorder
son pardon.
Après la réunion,
les échanges continuent. Les dépenses à
partager sont modiques : correspondances autres que
courriels ; circulaires décrivant le groupe,
ses dates et lieux de réunions ; rafraîchissements ;
parfois locations de salle et honoraires.
La réunion terminée,
des volontaires font le ménage, remettent les sièges
en place, et prévoient de sentraider pour les
trajets du retour.
REFERENCES