Contagions après certaines représentations
par les médias : télévision, journaux,
livres, Internet.
La télévision
En 1981, à la télévision
allemande, une série de six émissions à 20h15,
étalées sur 35 jours, ont commencé
chacune par le suicide fictif dun jeune de 19 ans
qui se jetait sous un train.
Pendant les 70 jours
suivant le premier épisode, dans la tranche d'âges
de 15 à 29 ans, on a recensé 62 suicides
masculins sous des trains au lieu dune moyenne antérieure
de 33 ; et 15 suicides féminins
au lieu de 8 : soit en tout 35 suicides
en excès.
Dans la tranche des
âges de 15 à 19 ans, lincidence
des suicides ferroviaires a presque triplé. Plus
lâge des suicidés dépassait 19 ans,
moins leur surnombre était net.
Jusque-là,
il ny avait pas de preuve de contagion : il
pouvait sagir de coïncidences ou dintervention
de facteurs concomitants.
Par chance, si lon
peut dire, la télévision allemande a rediffusé
la même série 21 mois plus tard. Laugmentation
consécutive des suicides ferroviaires a été
moindre (25 suicides de trop), mais en proportion
de l'audience de la série chez les 14-29 ans :
12% contre 19% la première fois. Elle a été
statistiquement significative.
Surtout, les deux recrudescences
de suicides ont eu exactement la même chronologie.
On a vérifié que les suicides par dautres
moyens, comme les pendaisons, navaient pas diminué
au cours des années correspondantes. Il ny
a pas eu de creux après les périodes de
recrudescence. Il ne sagissait donc pas de suicides
simplement anticipés (Schmidtke et Hafner 1988).
Jai rencontré
le Professeur Schmidtke en nov. 99, à Athènes,
au congrès de lInternat. Assoc. for Suicide
Prevention. Il nest pas entièrement satisfait
parce quil ne peut pas se prononcer sur le mécanisme
de la contagion. Mais le lien
de cause à effet entre les fictions
télévisées et les recrudescences de
suicides de jeunes lui paraît acquis. Les congressistes
ne lont pas contesté.
L'enquête de Schmidtke
ne démontre pas que toutes les représentations
télévisées de suicides aient été
contagieuses. Ainsi, aux États-Unis, trois films
de ce genre n'ont pas été suivis de contagion
dans la tranche d'âges de 12 à 19 ans
(Phillips 1987, Berman 1988, Kessler 1988). Peut-être
les représentations étaient-elles moins
violentes qu'à la télévision allemande.
Surtout, les chaînes
émettrices sont bien plus nombreuses à se
concurrencer aux États-Unis qu'en Allemagne, de sorte
que les films étaient vus par une moindre fraction
de la population.
«
Si la télévision ne modifiait pas les comportements,
il n'y aurait pas de télévision. »
remarquent les personnels de la télévision
dans d'autres circonstances.
On peut conclure que la télévision
a déterminé des suicides par contagion
et que les jeunes
ont été les plus vulnérables à
la représentation de suicides de jeunes.
Cette preuve confirme enfin le faisceau des présomptions
accumulées depuis lantiquité en faveur
de la contagiosité du suicide (Schmidtke 1988).
Les journaux
Les récits de suicides,
dans les journaux davantage qu'à la télévision,
ont été plus contagieux quand la victime était
une célébrité ou une femme (Stack,
Y Chen).
Le métro de Vienne
a ouvert en 1978 et des suicides ont eu lieu en se jetant
au-devant des rames. Les journaux leur ont fait une large
publicité. Les suicides ont augmenté de
1984 à 1987 sans extension concomitante du
réseau ni augmentation du nombre de voyageurs (Etzersdorfer 1992).
Ce qui plaide ici en faveur
de la contagion, cest le résultat de laction
préventive qui sera décrite plus loin.
Nous ne sommes que
le miroir de la société répètent
les médias.
Les faits observés en Allemagne et en Autriche
autorisent, me semble-t-il, à retourner la phrase :
Les
médias font de la société leur miroir
Les livres
Quand des livres recommandent
des moyens de suicide,une contagion est-elle à craindre ?
Pour démontrer leur effet mortifère, les épidémiologistes
pourraient mettre à profit la chronologie de leur
mises en vente, suivies dinterdiction (actuellement
transgressées ouvertement en France) :
- soit en recensant les suicides obtenus par les procédés
recommandés,
- soit en recensant la proportion entre les suicides aboutis
et les tentatives de suicide pendant les périodes
considérées.
La démonstration
du lien de causalité permettrait de mettre en uvre
larticle 223-13 du code pénal. Il semble
que la parution de Final exit aux États-Unis
ait influencé les procédés choisis
mais non l'incidence annuelle des suicides (Velting 1997).
Internet
Cybersuicide
est le titre de la première étude sur le sujet
(Baume 1997). Le thème du suicide est l'un des plus
recherchés sur la toile. En août 2011, le moteur
de recherches Google recensait 220 millions de documents
sur le suicide, parmi lesquels la prévention nétait
mentionnée que 2.600.000 fois, soit une proportion
inférieure à 1,2 %.
Létude
de Baume remarque labondance des forums encombrés
par les messages déclarant lintention de
se suicider sans se rater ni souffrir, et sans mentionner
le moindre motif. Les messages de prévention y
sont mal accueillis. Beaucoup de cas de suicides aboutis
y sont donnés en exemple, mais la réalité
de la contagion ne peut pas être prouvée,
faute de pouvoir localiser les internautes.
Il est une exception :
les pactes de suicide
(Mehlum). Un jeune Norvégien a annoncé son
projet de suicide sur des forums Internet en invitant dautre
personnes à se joindre à lui. Plusieurs jeunes
filles ont acquiescé et une jeune Autrichienne a
été choisie. Ensemble, ils ont gravi la falaise.
Bien entendu, il nest
pas exclu que la jeune Autrichienne aurait tenté
de suicider de toute manière. Toutefois, sachant
que la plupart des tentatives féminines naboutissent
pas, on peut admettre que la contagion sur Internet a
fait perdre des chances de survie à cette jeune
fille.
Remarque
Les publications ne démontrent
que des probabilités, non des fatalités.
On ne peut prédire à personne ni une contagion,
ni une protection.
Bien entendu, la contagion
n'est jamais le seul facteur.
Par exemple, dans une famille où sévit la
psychose maniaco-dépressive ou ses formes atténuées,
le facteur héréditaire s'ajoute à
l'effet de contagion.
REFERENCES