Étudier l’étudiant,
enquête
 

Enquête du Pr. François Besançon et du Dr. Henri Joly :
variations des situations, comportements et opinions
des étudiants en médecine en 1976
à la Faculté de Médecine Broussais-Hôtel-Dieu, Paris.

Révision : 06.07.2013         Translate

 

Points essentiels :

• Les faits saillants sont la dépolarisation en D3, les inégalités entre années, les besoins affectifs des étudiants.
• Des débats seraient bienvenus sur les traditions des enseignants fondamentalistes et cliniciens, des bailleurs de fonds, et de l’opinion étudiante.
• De modestes améliorations sont à portée de main.

 
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Résumé

Les variations des situations, comportements et opinions des étudiants en médecine ont été analysées à l’aide de questionnaires envoyés aux 961 étudiants des années P 2, D 1, D 3 et D 5 de la Faculté Broussais-Hôtel-Dieu, avec des taux de réponse respectifs de 24%, 30%, 9%, et 22%.
210 questionnaires d'environ 150 questions ont été bien remplis.

Les résultats concernent :
- Les contraintes liées aux études : lourdeur du programme en P2 et D4, trajets quotidiens (18% dépassant deux heures), insuffisance des restaurants universitaires et des bibliothèques.
- Les contraintes indépendantes des études : ressources, travail rémunéré (peu fréquent en dehors des vacances) et leurs conséquences. Ces résultats sont confrontés à l’enquête contemporaine du CREDOC sur les relations entre le temps consacré au travail rémunéré, aux études et aux loisirs.

- La santé physique, assez satisfaisante malgré l’insuffisance du sommeil et une hygiène alimentaire défectueuse. Les excès médicamenteux semblent plus notables que l’abus du tabac ou des boissons alcoolisées.
- Les variations du temps consacré aux études, de l’assiduité, des sous-colles, et de la détermination à passer l’internat.
- L’option pour un logis indépendant, avec des motifs surtout techniques en P 2 et affectifs en D 3.
- La date et les conséquences de la vie en couple.
- Les variations des activités sportives, culturelles, religieuses, politiques, syndicales.
- Les motifs de l’orientation, le type et le mode d’exercice futur, la date optima de la retraite (à 60 ans ou avant pour 29%), les craintes et les motifs d’abandon.

- Les lacunes de l’enseignement en regard de la morbidité.
- L’évolution du jugement sur les matières dites fondamentales, parmi lesquelles la pharmacologie, la physiologie, l’anatomie et l’immunologie sont en haute estime.
- L’intérêt pour les matières cliniques, avec une légère préférence pour la thérapeutique et la sémiologie, tandis que certaines disciplines sont sous-estimées.
- Les insuffisances de certains types d’enseignement et des bibliothèques.

- Les modalités du contrôle des connaissances.
- L’écartèlement entre la Faculté et l’Internat.

- Diverses opinions sur des sujets controversés : l’assiduité facultative, les aides financières, la sélection.
Les opinions exprimées par les étudiants de D 3 et D 5 dans leurs commentaires libres sont centrées sur l’échec de la formation à la pratique médicale.

Chaque année a ses singularités :
- P 1 par son programme, qui n’est pas le plus lourd, mais le plus contesté.
- P 2 par sa lourdeur.
- D 1 par l’intérêt pour le programme et la disponibilité pour l’étudier.
- D 2 où l’on commence à se relâcher.
- D 3, l’année la plus fertile en singularités : changement de domicile, d’habitudes, d’opinions et peut-être de caractère, fréquence de la vie en couple, dispersion des centres d’intérêt.
- D 4, où le programme est le plus lourd.
- D 5, dominée par les charges familiales et le regret d’une formation professionnelle insuffisante. L’alimentation est meilleure. La sélection est jugée moins défavorablement.

La discussion tente d’expliquer la “dépolarisation” en D 3, souligne les besoins affectifs des étudiants et l’effondrement de leur disponibilité pour étudier lors les dernières années. Les années “supérieures” ne seraient-elles pas inférieures du point de vue des performances ?

En conclusion, on propose de réviser le postulat implicite suivant lequel un an égale un an, pour qui bâtit le cursus des études.
Informer l’étudiant en publiant la présente enquête, c’est l’aider à gérer au moins mal son écartèlement et ses risques.
Les actions à imaginer mettent en cause diverses traditions des responsables des universités, des enseignants, des finances publiques et de l’opinion étudiante. Sans attendre les fruits d’une lente évolution, quelques modestes améliorations immédiates sont suggérées.

 

Rapport in-extenso

Ce sondage vise à :
- analyser les variations des situations et comportements des étudiants en médecine parisiens, au fil des années ;
- se demander, en conséquence, si un an égale un an, pour qui bâtit le cursus des études ou si ce postulat implicite est à réviser.

Techniques


Les techniques sont décrites in-extenso dans les thèses de J. Letourmy 1976 et E. Maussion 1977. Un questionnaire a été adressé en même temps que les documents électoraux, en janvier 1976, aux étudiants inscrits à la Faculté Broussais-Hôtel-Dieu, dans les années P 2, D 1, D 3 et D 5. Les effectifs de ces années variaient de 233 à 235 étudiants.

Les délégués élus des étudiants ont été associés à l’élaboration du questionnaire ainsi que le Dr. Jean-Claude Hesse et Mme Larcebeau. Sur 961 questionnaires envoyés, 210, soit 21% ont été remplis anonymement et retournés. Le nombre des réponses par année a été respectivement de 58, 74, 22 et 56, soit 24%, 30%, 9%, et 22%. Des renseignements ont été obtenus indirectement sur les années P 1, D 2 et D 4, grâce à des questions libellées de façon rétrospective.

Les questionnaires remplis l’ont été quasi-complètement, malgré le temps requis (70 à 120 minutes pour 147 questions) et malgré le caractère souvent médical ou intime des questions. Seules ont été refusées en grand nombre les questions concernant les divorces ou séparations et les enfants à charge.

Le questionnaire est reproduit dans un document séparé :
“Etudier l’étudiant, questionnaire”.

Chaque questionnaire a été converti en cartes perforées et le dépouillement des réponses (dont le nombre dépassait 120.000) a été réalisé par le centre de calcul de l’Association pour la Recherche et le Développement de l’Informatique en Médecine et Sciences humaines (ISM, Dr. Henry Joly). De nombreux commentaires spontanés ont été recueillis (Thèse de J. Letourmy).

L’enquête a été relativement superficielle sur la situation économique des étudiants parce que celle-ci a été étudiée à fond par le CREDOC et l’IREDU (Lemennicier, Lévy-Garboua et coll., 1975). Les principaux résultats de ces études seront mentionnés au chapitre des Résultats.

Résultats

210 questionnaires d'environ 150 questions ont été bien remplis.
Les résultats seront présentés sous deux formes :en classant les réponses par sujets, puis en faisant ressortit les singularités de chaque année étudiée. L’année la plus riche en singularités était D 3.

I, Analyse des réponses.

On décrira tour à tour les variations : des contraintes que subissent les étudiants, de leurs options et comportements, enfin de leurs jugements sur l’enseignement et la condition étudiante. Par convention, quand les réponses de toutes les années ont été citées, on a inscrit en tête le pourcentage moyen, suivi des pourcentages respectifs en P 2, D 1, D 3 et D 5.

 

 

 
A, Variations des contraintes subies

Ces contraintes peuvent être liées aux études à des degrés divers : lourdeur des programmes, trajets, restaurants universitaires, bibliothèques ; ou indépendantes des études : ressources, santé physique et psychique, âge.

1, Contraintes liées aux études

Le poids inégal des matières fondamentales et cliniques est souligné dans les commentaires libres.

Les enseignements sanctionnés par des examens totalisent 2.747 heures,
soit 1.571 heures de matières fondamentales (57%)
et 1.176 heures de matières cliniques (43%).

La lourdeur du programme culmine en P 2 et D 4. Bien qu’étant l’année du concours, P 1 semble avoir un programme moins lourd que P 2. La lourdeur de D 4 pourrait être particulière à notre Faculté parce que nos étudiants sont autorisés à cumuler jusqu’à trois certificats de retard à l’entrée en D 4, mais non à l’entrée en D 5. Toutefois, 33% seulement se considèrent comme surmenés hors des périodes d’examens dans l’année la plus lourde, D 4. Le temps disponible pour travailler culmine en D 1.

69% des trajets quotidiens dépassent une heure et 18% deux heures. Les trajets s’allongent en D 1, à cause de l’hôpital, mais peu en D 5. 41% sont fatigants. Si les étudiants étaient assidus à tous les enseignements, leurs trajets n’en seraient que peu accrus.
38% des étudiants n’ont aucun véhicule (62-37-18-16%) et 43% ont un véhicule immatriculé (20-30-59-75). L’éventuel véhicule apporte une économie de temps et une charge notable (67-53-43-64).

L’absence ou la médiocrité notoire des restaurants universitaires est un gros handicap et l’un des facteurs de l’absentéisme aux enseignements, au yeux de nos étudiants.
Les conditions du travail au domicile sont favorables pour 87%.

Les bibliothèques sont fréquentées par 85% des étudiants et les conditions sont jugées défavorables par 56% : manque de place (81%), de silence (91%), d’air respirable (52%), étroitesse des horaires (38%) et manque de documents courants (38%).

2, Contraintes indépendantes des études

La dépendance financière est jugée excessive par 51%. Les étudiants n’estiment insuffisantes leurs ressources en aucune année plus qu’une autre, même en D 2 qui est l’année des fonctions hospitalières non rémunérées. Les subsides familiaux , au fil des ans, augmentent plus souvent qu’ils ne diminuent, excepté en D 5. 12% des étudiants sont dispensés des frais de scolarité et 9% sont boursiers. Parmi ceux-ci, 64% sont boursiers complets.

Le travail rémunéré se fait surtout en périodes de vacances, atteignant ou dépassant alors 4 semaines pour 59% (77% en P 2 et 37% en D 5). Hors vacances, 62% ne font aucun travail rémunéré et 16% seulement travaillent plus de dix heures par semaine. Étant étudiants en médecine, ils ont trois avantages relatifs : trouver souvent du travail sur place, le trouver en périodes de vacances et y parfaire leurs compétences (37% en D 1, 85% en D 3, 94% en D 5).

Les activités rémunérées fatiguent (65%) et diminuent le temps de sommeil (54%). Ces activités entraveraient les occupations autres que les études (64%) davantage que les études (41%) et l’assiduité (16%) : ce ne serait pas parce que l’étudiant travaillerait ailleurs qu’il sécherait l’enseignement.

L’enquête du CREDOC complète nos résultats sur les ressources des étudiants, leurs dépenses et leur travail rémunéré. Leurs ressources annuelles variaient de 8.000 à 12.000 F environ, somme à laquelle s’ajoutait la valeur de la gratuité : le budget des universités représentait en moyenne 6.400 F par étudiant et par an. L’aide publique annuelle moyenne comportait encore les bourses (564 F), les aides en nature, les déductions fiscales grâce au quotient familial (800 F). Pour les étudiants issus des familles défavorisées, l’aide publique annuelle approchait 6.000 F, puis diminuait en fonction des revenus des parents, puis augmentait grâce à la progression des déductions fiscales.

Les dépenses annuelles des étudiants variaient peu (6.200 à 6.000 F) suivant les revenus de leurs parents ou suivant l’octroi d’une bourse. Par contre, elles passaient :
- de 4.400 à 10.100 F si l’étudiant quittait le logis familial ;
- de 5.800 à 14.000 F si l’étudiant vivait en couple.

Les aides qui augmentaient le temps d’étude au détriment du temps de loisirs n’étaient pas les aides en espèces mais en nature : restaurant universitaire au premier rang, puis repas dans la famille et résidence proche de l’université.

Le Credoc a analysé les emplois du temps et calculé leurs variations en fonction du travail rémunéré hors vacances. Quand ces heures augmentaient de zéro à 35, le temps d’étude n’augmentait jamais, mais diminuait linéairement de 38 à 10 heures. Le temps de loisirs était préservé et même augmentait de 15 à 18 heures environ pour égaler le temps d’étude. Au-delà, les deux temps diminuaient parallèlement. Ces données concernaient toutes sortes d’étudiants et non pas les seuls étudiants en médecine, qui consacraient davantage de temps que les autres à leurs études.

La santé physique et psychique est marquée par la rareté des maladies somatiques graves : 17% seulement ont été hospitalisés et 76% des hospitalisations ont été brèves. La santé physique n’a nui aux études que chez 11%, surtout en P 2 et D 1. On relève un traumatisme crânien avec perte de connaissance chez 5% et une parasitose exotique chez 5%. L’ulcère duodénal serait inexistant.

Une période d’amaigrissement important est accusée par 22% et l’engraissement par 7% (mais 13% en D 5). Le petit déjeuner n’apporte suffisamment de calories que chez 58%. Le déjeuner est suffisant en quantité (72%) mais ni en qualité (43%), sauf en D 5, ni en régularité. Il est pris :
- au restaurant universitaire : 40% (62-48-27-13) ;
- dans d’autres restaurants : 7% (8-3-5-15) ;
- sous forme de sandwich ou analogue : 19% (13-21-27-18) ;
- à domicile : 34% (17-29-41-55).

Un médicament (pilule contraceptive exceptée) est pris très souvent par 12%, notamment des somnifères (8%) et tranquillisants (7%).

Aucun ne fume plus de 30 cigarettes par jour, mais 21% dépassent 10 cigarettes. Les non-fumeurs sont 58%. C’est en D 3 qu’on fume le plus. L’usage du tabac est considéré comme une erreur chez les autres dès le seuil de 5 g quotidiens par 45%. Les plus sévères sont les étudiants de D 3. 9% “boivent pas mal de boissons alcoolisées”(5-8-14-11). Un étudiant sur cinq déclare qu’il existe des drogues illicites sans danger.

Presque tous déclarent avoir besoin de 8 h de sommeil mais 34% dorment 7 h ou moins (55% en D 3). Les insomniaques sont déjà 13%. En périodes d’examens, le temps de sommeil ne diminue pas ou peu.

Un antécédent de tentative de suicide est confié par 3%, soit une trentaine de cas chez ceux qui ont “réussi la sélection”. Ceux qui ont eu la tentation de se suicider sont quatre fois plus nombreux. Les années P 2 et D 4, dont le programme est le plus lourd, ne sont guère plus exposées. L’anxiété liée aux études culmine en P 1, suivie par P 2 et D 4. Ceux qui ont vécu en famille ou en compagnie avec un alcoolique sont 5% ; avec une personne qui a tenté de se suicider : 15% ; avec une personne atteinte de troubles mentaux: 16%.

Ces situations tiennent leur importance de leur association fréquente avec les tentatives de suicide étudiées chez les lycéens.

Les antécédents de dépression sont déjà 8% (5-6-14-11). Les facteurs incriminés sont souvent intriqués : échec sentimental (78%), surmenage (67%), difficultés familiales (62%), inquiétude pour la santé (50%), échec aux examens (43%). 22% sont pessimistes pour leur avenir, 33% sont moins en forme que l’année précédente pour attaquer leur travail, 11% s’ennuient dans la vie et 15% se sentent rejetés, isolés. S’il leur arrivait de “souffrir d’un excès d’anxiété”, 13% seulement se dépêcheraient de consulter un confrère.

Quand ils observent des troubles mentaux sérieux chez d’autres étudiants en médecine, ils en rendent responsables : une prédisposition individuelle (88%), des facteurs étrangers aux études (74%) et des facteurs liés aux études 70% (78-54-90-73). Ils opinent donc que ce ne sont pas les études à elles seules qui “rendent dingue”.

Le sexe et l’âge peuvent-ils devenir des éléments de contrainte ? Rares sont les hommes atteignant l’âge limite du sursis militaire : 7% des D 5 atteignent ou dépassent 27 ans, le gros de la cohorte se situant vers 24-25 ans. Les filles ne sont nullement inquiètes pour l’accomplissement de leurs vocations.

 

B, Variations des options
et comportements.

On envisagera les variations dans le travail d’étude, le logement, le statut matrimonial et divers comportements.

• Variations du travail d’étude

Ceux qui sèchent plus du tiers des enseignements facultatifs placent en tête les explications suivantes : pédagogie contestable 64%, polycopiés et livres suffisants 63%, autres occupations indispensables 56%, trajets 41%, convenances personnelles 36%. Les facteurs positifs d’assiduité sont exceptionnellement la personnalité de l’enseignant et plus souvent les détails ajoutés verbalement par celui-ci, jugés utiles pour les examens.

En dehors des périodes d’examens, le travail après dîner est infime chez 54% : moins de 6 h par semaine. Ceux qui en font 3 h au moins sont 37% (26-36-50-45). Même en P2, 31% seulement en font 10 h ou davantage par semaine. En période d’examens, 19% ne travaillent que moins de 3 h par semaine : proportion à rapprocher à celle des collés.

La sous-colle a peu de succès. Toutefois, ceux qui sous-collent plus de deux semaines par an augmentent régulièrement de P 2 (30%) à D 4 (60%). Ceux qui déclarent travailler mieux en sous-colle que seuls ne sont que 42%. Les explications les plus fréquentes sont que leur efficacité personnelle les satisfait, que leur caractère s’y prête mal et qu’ils n’ont pas trouvé de sous-colleur idoine. 38% ont abandonné la sous-colle et 43% regrettent de ne pas sous-coller.

Les étudiants ne font pas mystère d’aimer sortir tard le soir avec des amis et d’avoir eu de longues périodes de fainéantise : surtout en D 5 (30%), mais même en P 1 et P 2. Aucune année ne tombe au-dessous de 13%.

Priés de coter leur efficacité étudiante en y intégrant leurs performances, leur temps disponible, leur capacité de concentration, leur mémoire et leur intérêt pour le programme par comparaison avec ce qu’il était en P 1, les étudiants des années ultérieures la jugent supérieure. Dans l’ensemble, ils n’arrivent pas à se concentrer plus de deux heures de suite. Leur capacité de concentration est amoindrie par rapport à l’année précédente pour 30%. Elle accuse une chute nette en D 3.

50% sont déterminés à préparer l’internat (47-66-29-45). Parmi les autres, la date de la décision d’abandonner se situe en P 1 pour 9%, en D 2 pour 23%, en D 3 pour 32%, en D 4 pour 18% et en D 5 pour 18%.

• L’option pour un logis indépendant.

60% résident dans leur famille (74-76-45-33), ce qui entraîne un surcroît de transports chez 39%, de fatigue chez 31%.
L’option pour un logis indépendant fait un bond en D 3. Les motifs les plus souvent mentionnés sont :
- Convenance personnelle : 68% (69-75-90-57) ;
- Vivre en couple : 50% (17-40-50-79) ;
- Conditions défavorables au travail : 33% (60-40-37-12) ;
- Difficultés d’entente avec les parents : 33% (25-22-78-21).

Si l’on quitte sa famille en P 2, c’est pour des raisons techniques (trajets, conditions de travail). En D 3, c’est pour des raisons affectives (convenance personnelle, vivre en couple, difficultés d’entente). Dans l’ensemble, les difficultés sérieuses d’entente avec les parents sont rares sauf en D 3.

La dépense entraînée par le logis indépendant est minime pour la majorité (51%) sauf à partir de D 3. Une minorité admet que quitter le logis familial a pour conséquences un surcroît d’activités rémunérées, de transports, de conditions défavorables au travail et de surmenage.

• Date et conséquences de la vie en couple.

26% des étudiants vivent en couple (2-9-21-63), soit un peu plus tard que l’option pour un logis indépendant. Le conjoint est étudiant en médecine une fois sur trois et il n’est obligé d’interrompre ses études qu’une fois sur six. La vie en couple serait sans influence sur les études pour 61% et elle les faciliterait plus souvent qu’elle ne leur nuirait. Toutefois, cette vie entraînerait un surcroît de :
- Tâches ménagères : 67%,
- Loisirs, invitations : 66%,
- Courses : 60% (0-40-75-63),
- Activités rémunérées : 33%,
- Transports : 28%,
- Surmenage 21%.

Des enfants sont à la charge de 13% des étudiants (0-0-8-28). La naissance du premier enfant survient généralement en D 4 ou D 5.
3% sont divorcés ou séparés.

• Variations de divers comportements

La pratique régulière d’un “sport qui demande pas mal d’endurance”, en dehors des périodes d’examens varie de P 1 à P 2, D 1, D 3, D 5 : 36-26-36-20-28%.

Les activités syndicales, politiques, culturelles et religieuses tendent à diminuer :
- Syndicales : 3% (0-0-5-7),
- Politiques : 6% (8-2-11-7),
- Culturelles, artistiques : 17% (15-19-21-16),
- Religieuses : 9% (4-10-17-9)

- Autres : 11% (14-7-33-6). Il s’agirait de bénévolat, selon des étudiants interrogés verbalement.
Le travail rémunéré a été décrit ci-dessus au titre des contraintes mais il pourrait se ranger aussi parmi les options si l’on admet, avec le CREDOC et l’IREDU, qu’il est étroitement lié au logis et à la vie en couple, mais peu aux ressources des parents.
L’inélasticité du temps de loisirs est à rappeler ici, à propos des étudiants de toutes disciplines.
Le surmenage aurait pu être réduit par un emploi différent du temps selon 27% (26-30-54-16).

Des “erreurs mineures” d’appréciation, d’organisation et de comportement auraient eu des conséquences disproportionnées dans des vies d’étudiants, de leur propre aveu.

 

C, Variations des jugements des étudiants

Ces jugements concernent leur orientation professionnelle, les craintes d’abandon, les matières enseignées, la pédagogie et d’autres aspects controversés de la condition étudiante.

• Leur orientation professionnelle

“Réussir dans la vie”, c’est à leurs yeux d’abord une vie privée heureuse, une vie professionnelle intéressante et soulager les malades. Peu d’intérêt pour l’argent, le prestige, la recherche, une œuvre durable. Ils apprécient les contacts humains, l’aspect actif et concret, plus que l’aspect scientifique ou le caractère libéral de la profession. Un spécialiste de l’orientation ne les a influencés qu’une fois sur trente.

Tous veulent exercer, choisissant :
- Médecine générale 36% (40-37-41-25),
- Chirurgie 10% (12-13-5-7),
- Autres spécialités : 49% (37-44-50-67),
- Recherche : 5% (12-6-5-0).

Le choix d’une autre voie que la médecine générale est motivé par l’exercice approfondi d’une spécialité (90%), la crainte d’en savoir trop peu à la fin de D 5 (…), la crainte du surmenage professionnel (49%) et le niveau de vie (15%).

Le mode d’exercice souhaité est proche de celui de leurs jeunes aînés :
- Libéral en groupe : 30%,
- Libéral individuel : 9%,
- Mixte, libéral et salarié  : 40% (32-37-50-49),
- Hospitalier exclusif : 18% (23-21-5-14),
- Salarié extra-hospitalier : 18% (23-21-5-14).

Dans la médecine hospitalière, la première place est donnée aux soins, loin devant l’enseignement (49% : 40-50-100-52) et la recherche (44% : 56-41-0-41).
L’âge souhaité de la retraite est de 60 ans ou avant pour 29%, tandis que 10% entendent aller au-delà de 80 ans.

• Les craintes d’abandon.

Elles touchent 27% (41-33-14-6). Les motifs d’abandon éventuel sont le manque d’argent (surtout en D 1), un événement conjugal ou familial, un accès de découragement 43% (surtout en D 1), des centres d’intérêt trop nombreux 36% (100% en D 3), une pédagogie contestée, un échec aux examens, un manque d’organisation 25%, des craintes pour l’avenir de la profession 20% (67% en D 3), un changement de vocation 16% (75% en D 3), une activité professionnelle étrangère aux études 13%.

89% des filles, si elles fondent une famille, comptent poursuivre leurs études sans interruption. Si elles doivent interrompre, ce sera temporairement et après la soutenance de la thèse.

• Jugements sur les matières enseignées

D’après ce qu’ils savent de la morbidité de la population, certaines matières seraient enseignées suffisamment (maladies artérielles, diabète, ulcères gastro-duodénaux) ou même excessivement (tuberculose). Les lacunes du programme sont estimées graves en matière de dépression, suicide, alcoolisme, tabagisme, excès de médicaments, obésité, troubles mentaux, cancers, bronchites et rhumatismes chroniques.

Pour chaque matière dite fondamentale, le questionnaire a demandé de coter séparément l’utilité professionnelle, la valeur de culture formatrice et l’évolution du jugement au fil des années : une matière réellement fondamentale a des chances d’être mieux appréciée quand l’expérience grandit.

La palme revient à la pharmacologie, suivie par la physiologie, l’anatomie, l’immunologie, la microbiologie, l’anatomie pathologique, la parasitologie, la biochimie et la biologie. Les étudiants les plus âgés deviennent plus favorables aux matières classées en tête ci-dessus et moins favorables à la biochimie, l’histologie, l’embryologie, la biophysique, la physique et la chimie. « Nous avons tout oublié des matières fondamentales ! » répètent plusieurs commentaires libres, soulignant la disproportion entre l’effort requis et le résultat final.

On ne peut manquer de s’interroger sur le caractère fondamental de ce qui est oublié.

Parmi les matières cliniques, unanimement appréciées, les préférences vont à la thérapeutique et à la sémiologie. Sont largement sous-estimées : l’hygiène et médecine préventive, la médecine du travail; la médecine légale et l’économie médicale. La médecine préventive est classée en tête en en P 2 pour s’effondrer en D 5, au vu de l’inégale docilité des malades aux conseils d’hygiène.

Les variations de la faveur pour les matières enseignées ne tiennent pas seulement à leur utilité (87%), mais aussi à l’évolution de la personnalité de l'étudiant (70%) et à ses autres centres d’intérêt (53%).

• Jugements sur la pédagogie

Les matières cliniques sont enseignées insuffisamment pour 75% (100-59-57-94). C’est un leitmotiv des commentaires libres : « Nous sommes mal préparés à la pratique ! » Les insuffisances concernent :
- la visite en salle : 64%,
- la présence aux urgences : 80%,
- les cours magistraux : 72%,
- les enseignements dirigés : 70%,
- l’assiduité des étudiants 41% (33-47-62-36),
- les stages hospitaliers trop spécialisés (28% des commentaires libres).

Les moyens pédagogiques servent différemment à comprendre, à savoir et à savoir faire grâce aux fonctions hospitalières incluant les gardes, ainsi qu'aux travaux pratiques. Les films et diapositives sont appréciés sans enthousiasme excessif. Les cours sont jugés avec presque autant de bienveillance que les enseignements dirigés.

Les examens écrits sont préférés aux oraux, les examens partiels aux terminaux. Les étudiants ignorent le contrôle continu écrit, la notation des stages hospitaliers et le principe de l’examen clinique terminal. La préparation de l’internat nuit modérément aux études de Faculté mais ce sont celles-ci qui nuisent à la préparation de l’internat : de façon “surmontable” pour 47%, “insurmontable” pour 36%. Trouver un bon conférencier d’internat est difficile.

• Autres questions controversées

Ce sont les évolutions souhaitées de la pédagogie, des aides financières publiques, la sélection et divers commentaires libres.

Les étudiants accepteraient-ils certaines exigences nouvelles en contrepartie d’améliorations pédagogiques ? Le contrôle continu écrit n’a pas été honni. Une obligation d'assiduité placerait les étudiants dans une situation “difficile “pour 29% et “désespérée” pour 6%. Devant cette obligation, une forte revalorisation des bourses en tirerait d’affaire 37% (20-39-40-42).

“Les matières directement indispensables à votre profession sont enseignées en fin d’études. Voulez-vous que certaines soient enseignées plus tôt, sachant qu’elles seraient contrôlées à nouveau en fin d’études (au moins sous forme d’épreuve pratique) ?” Oui : 73%.

“Au début de vos études, auriez-vous apprécié quelques réunions avec vos aînés pour discuter sur l’organisation de votre temps ?” Oui 81%. “Si oui, avec qui ?”
- étudiants sortis de votre année ? Oui 77% (87-82-43-66),
- étudiants plus anciens de 1, 3 et 5 ans ? Oui 92%;
- enseignants ? Oui 78% (90-71-92-72).

À propos des aides financières publiques, on sait qu’en majorité les étudiants en médecine sont issus de familles aisées. “Démocratiserait-on leur recrutement par des aides financières publiques” :
- sélectives ? Oui : 54% (59-47-35-61),
- égales pour tous, telles que la gratuité, des allocations d’études ? Oui : 62% (51-70-79-57).
”Si vous optez pour davantage d’aides sélectives, proposez-vous qu’aux bourses d’état s’ajoutent des bourses d’université financées par des droits d’inscription fortement relevés en fonction des revenus des familles ?” Oui : 56% (66-62-33-46).

“Êtes-vous partisan de la sélection actuelle au cours su premier cycle ?” Oui : 38% (31-19-29-50).
”Si la sélection persiste au taux actuel, quel serait le moins mauvais moment pour l’appliquer ?”
- en fin de P 1 comme maintenant ? Oui : 61% (54-62-44-73),
- avant P 1 ? Oui : 58% (69-52-73-19),
- après P 1 ? Oui : 13% (2-10-21-31).

Les commentaires libres n’ont été dépouillés qu’en D 3 et D 5 (Thèse de Letourmy). Surtout :
- La préparation à la pratique médicale est un échec (55%) ;
- On est écartelé entre la Faculté et l’internat (31%) ;
- Les stages hospitaliers sont trop spécialisés (28%) ;
- La dépendance financière est excessive (20%) ;

- Les critères de la sélection ne sont pas appropriés (20%) ;
- On se sent méprisé par ses aînés et la camaraderie est insuffisante (14%) ;
- Les sciences dites fondamentales sont excessives (12%). On en a tout oublié mais on rend hommage à la qualité des enseignants ;
- Les responsabilités hospitalières sont mal conçues (11%) ;
- Trop d’enseignants cliniciens tournent le dos à l’étudiant (11%) ;

Les propositions constructives les plus fréquentes sont d’adapter la programme à la pratique future (30%), de commencer la clinique plus tôt (11%) et de distribuer un présalaire (5%).
Les commentaires libres ont fait défaut sur les bourses, les aides en nature, la démocratisation de l’accès au diplôme, la docimologie et les stages chez le praticien. Les critiques n’ont été adressées qu’à autrui.
 

II, Singularités de chaque année

Les années P 1, D 2 et D 4 n’ont été explorées que par des questions rétrospectives. On a considéré plutôt les dates des variations importantes que celles des valeurs extrêmes.

P 1 est l’année où : le programme n’est pas le plus lourd, mais le moins intéressant et utile.

P 2 a le programme le plus lourd (avec D 4). L’intérêt pour le programme grandit peu, le sport pâtit du surmenage. L’étudiant possède rarement un véhicule, qui est alors une charge notable. S’il quitte sa famille, c’est pour des raisons techniques (trajets, conditions de travail) et il en résulte un surcroît d’activités rémunérées. Les dangers des drogues illicites sont sous-estimés.
41% craignent d’abandonner leurs études. C’est la seule année où les jeunes filles (5%) acceptent l’idée d’interrompre si elles fondent une famille. C’est la seule année où la recherche soit considérée et même estimée avant l’enseignement. La majorité est favorable aux aides financières sélectives.

D 1 est l’année où : les étudiants étrangers ont disparu. On a plus de temps pour travailler les matières les plus appréciées ; on regrette de ne pas sous-coller ; les deux-tiers sont déterminés à passer l’internat ; les centres d’intérêt étrangers aux études ne sont pas trop prégnants. Les trajets deviennent importants et la bicyclette ou le cyclomoteur sont les véhicules préférés. On reprend le sport mais on commence à user des tranquillisants (9%). Si l’on craint d'abandonner, c’est faute d’argent, de santé ou de sens de l’organisation. L’enseignement clinique est jugé insuffisant en ce qui concerne la visite en salle.

D 2 est l’année où : quelques couples apparaissent (12%), le travail rémunéré hors vacances augmente (16%), on commence à renoncer à l’internat tandis que le travail après dîner devient négligeable hors périodes d’examens.

D 3 est l’année la plus fertile en singularités :
Âgé de 22 à 24 ans, l’étudiant perçoit ses premières payes d’externe. Le montant de son éventuelle bourse est réduit. Il n’aime pas remplir un questionnaire (22 sur 233), ce qui affaiblit la représentativité de l’échantillon, mais il le remplit à la perfection et l’enrichit de nombreuses réponses libres.

La possession d’un véhicule immatriculé passe de 30 à 59% On quitte le restaurant universitaire pour déjeuner plus souvent chez soi ou expédier un sandwich. On prend souvent un médicament (18%, pilule exceptée). Le taux des non-fumeurs s’effondre de 62% à 27%. On boit “pas mal de boissons alcoolisées” (14%). On recommence à soutenir qu’il existe des drogues illicites sans danger (27%).

On vit plus souvent en couple (21%), ce qui oblige le partenaire à interrompre ses études une fois sur deux. On quitte le logis familial (55%), surtout pour des raisons affectives. Le logis commence à coûter cher.

On subit un surcroît de travaux rémunérés, courses, tâches ménagères, temps consacré au transports et dépendance financière. On se prive de sommeil : 55% dorment 7 heures ou moins. Les antécédents de dépression deviennent nombreux (14% au lieu de 6%). Le caractère se prête plus mal à la sous-colle (77% au lieu de 44%). Le sport s’effondre tandis que se relève l’assiduité aux organismes religieux (17% contre 10%), politiques (11% contre 6%), syndicaux (5% contre zéro).

On renonce à la carrière hospitalo-universitaire mais on veut être salarié. On déteste la recherche et on est assoiffé d’enseignement tout en n’y étant pas assidu.

Si l’on craint d’abandonner, c’est à cause de centres d’intérêt trop nombreux, de changement de vocation, d’accès de découragement, d’appréhension pour l’avenir de la profession. D 3 est la seule année qui déteste le contrôle continu et la notation des stages hospitaliers, la seule aussi à souhaiter que la sélection se fasse avant P 1 si elle est inéluctable.

D4 est l’année où: le programme est le plus lourd (à cause des 3 certificats de retard autorisés). C’est l’année où l’étudiant passe le plus de temps à étudier, plus volontiers en sous-colle. Le premier enfant naît volontiers.

D 5 est l’année où : la charge de travail est réduite mais le temps disponible pour étudier devient lui aussi infime. La fainéantise n’est pas dissimulée (30%).
Les trajets s’allongent, mais peu.

Le véhicule immatriculé se généralise et devient coûteux. Les charges familiales passent au premier plan en même temps que diminuent les subsides alloués par les parents. Les ressources deviennent importantes, y compris la contribution du conjoint. La qualité du déjeuner s’améliore. On le prend chez soi. On engraisse.

On se détourne de la médecine générale (25% au lieu de 41%). On apprécie davantage certaines matières dites fondamentales ainsi que la thérapeutique, tandis qu’on en juge d’autres moins favorablement, comme la médecine préventive. Les commentaires libres sont nettement orientés vers la pédagogie.

On regrette que les matières cliniques aient été trop peu enseignées (94%), avec trop peu d’enseignements dirigés. On déchante sur le savoir-faire acquis dans les fonctions d’externe. Les études de Faculté sont accusées d’avoir nui à la préparation à l’internat (36% contre 8%) auquel les deux-tiers ont renoncé.
On se soucie des débouchés. On devient partisan de la sélection (50% contre 29%) mais on la préfère tardive (49% contre 73% favorables à la faire avant P 1).

 

Discussion

Seront discutées l’interprétation des résultats, l’information des étudiants et les actions à envisager.
I, Interprétation des résultats

Après avoir discuté la validité de l’enquête et sa confrontation avec la littérature, on insistera sur les singularités de D 3, les inégalités entre années, l’effondrement de la disponibilité pour étudier et les besoins affectifs des étudiants.

A, Validité de l’enquête

Les taux de réponses a été de 24%, 30%, 9% et 22%. Les étudiants en D 3 n’ont guère bénéficié de nos relances verbales par suite de leur absentéisme. Ceux que nous avons interrogés ultérieurement ont mis en avant la longueur du questionnaire, leurs doutes sur son anonymat, la nécessité de le ramener à la Faculté. Aucune de ces objections n’est spécifique à D 3. Les répondeurs de D 3 qui ont vécu en compagnie avec un suicidant, un alcoolique ou un malade mental dépassent le double de ce qu’ils sont dans les autres années : les “étudiants à problèmes” auraient ainsi répondu plus volontiers que les autres. Toutefois, les réponses rétrospectives des étudiants de D 5 au sujet de D 3 concordaient avec celles issues des D 3.

B, Confrontation avec la littérature

Les enquêtes ont été très rares, hormis celles du CREDOC et de l’IREDU 1975, et de JD Raynaud et Alain Touraine 1956. Celle-ci remontait à une époque où les bacheliers de la série A (latin-grec) réussissaient à l’externat bien mieux que ceux de la série C (mathématiques-physique) et où les sociologues classaient les réponses par rangs et non en pourcentages.

Elle ne visait pas les variations des étudiants au fil des ans. Les taux du travail rémunéré et du logis indépendant étaient peu différents à l’époque, excepté que les cités universitaires et maisons d’étudiants jouaient un rôle notable. Les étudiants mariés étaient 17% contre 26% en 1976. Les boursiers étaient 33% contre 9% mais les boursiers complets n’étaient qu’un tiers contre deux tiers. L’exercice libéral exclusif attirait les trois-quarts des étudiants contre 39%.

C, La “dépolarisation” en D 3

Cette métaphore exprime la brusquerie des changements et le fait qu’ils redeviennent “polar” en D 4. Ces singularités pourraient s’expliquer par des facteurs antérieurs, contemporains et ultérieurs à D 3.
Antérieurement à cette cinquième année d’études, beaucoup de besoins affectifs ont été ignorés ou refoulés. Il est plausible qu’ils explosent.


Contemporains de D 3, quatre facteurs nous apparaissent importants :
- les étudiants touchent leurs premières payes d’externes: leviers dans leurs dépenses de temps et d’argent, peut-être au-delà de leurs moyens ;
- « Enfin nous sommes considérés comme quelqu’un… Nous nous sentons des ailes ! » «… pour courir tous les lièvres ! » ajouteraient certains ;
- beaucoup renoncent à l’effort de l’internat : « Alors, pépère… »
- tous constatent que la Faculté a mal rempli son contrat c’est-à-dire qu’ils ne seront pas prêts à être médecins à la fin de leurs études. Certains se mettent-ils à suivre cet exemple ?

Ultérieurement à D 3, ils savent que les programme de D 4 sera très lourd. Certains veulent-ils souffler ou avancer leurs affaires sentimentales avant l’hivernage en D 4 et la dispersion en D 5 ?

D, Les inégalités entre années

Les inégalités dans la lourdeur des programmes et dans l’intérêt des matières sont évidentes.
Les réponses paraissent sous-estimer l’inégalité des performances aux examens et de l’efficacité dans le labeur d’étude.

Successivement à Necker-Enfants-malades puis à Broussais-Hôtel-Dieu, l’un de nous a été frappé par la bonne qualité des copies de sémiologie médicale en D 1 et la médiocrité des copies de gastro-entérologie en D 3 ou D 4, différence peu apparente au vu des notes décernées.

L’absentéisme devenait massif à partir de D 3, aux amphis comme aux enseignements dirigés, les enseignants restant les mêmes. Certes, les étudiants se déclaraient plus habiles pour s’organiser mais certaines réponses des dernières années sont révélatrices : un tiers d’entre eux sont moins en forme que l’année précédente pour attaquer le travail et un tiers n’arrive plus à se concentrer aussi longtemps que l’année précédente. Trop de centres d’intérêt les happent, comme le révèle leur emploi du temps, notamment après dîner. C’est corroboré par l’enquête du CREDOC.

Ainsi, une année n’égale pas une année, notamment dans la disponibilité pour étudier. Il semble illusoire d’attendre de l’étudiant un travail d’étude important plus de quatre ans après le baccalauréat.

E, Les besoins affectifs des étudiants

Ces besoins éclatent dans leurs réponses sur leur orientation et leur conception de la réussite, leurs craintes d’abandon et leurs attitudes concernant les débouchés, la sélection, l’argent. De même, dans leur appétence pour diverses satisfactions, consommations et compensations (véhicule, logis, loisirs). Des commentaires libres fustigent l’insuffisance de camaraderie dans la vie de Faculté et certaines attitudes ressenties comme méprisantes. Différent de l’homo economicus, l’homo estudiantinus (ou studens) n’est ni mû exclusivement par des choix rationnels, ni stable dans ses comportements.

Bien entendu, on ne demande ni aux responsables de l’enseignement, ni aux contribuables qui le financent en partie, de s’imaginer capables de satisfaire les besoins affectifs des étudiants. Ces besoins seront-ils jamais satisfaits ? Toutefois, on se tromperait en agissant comme s’ils n’existaient pas. Il en va de même des médecins envers leurs malades. L’humanisation pourrait être un thème d’action pour l’université.

 

 

II, Informer l’étudiant

L’étudiant, comme l’enseignant, est écartelé. Cette enquête aidera-t-elle chacun à gérer au moins mal cet état, à analyser le pour et le contre de ses options, notamment : le logis indépendant et la vie en couple, avec leurs conséquences sur le budget, le travail rémunéré, le surmenage et la réussite. Les étrangers doivent être avertis que leurs chances d’aller jusqu’au bout sont quasi nulles, à moins que leur disparition ne s’explique par une naturalisation.

Il y a lieu d’informer l’étudiant sur ses risques sanitaires. Il s’agit moins de tuberculose que de parasitoses exotiques, de traumatismes crâniens, et surtout de risques psychiques (dépression, projets de suicide) accrus par l’insuffisance du sommeil et la répugnance à consulter un confrère psychiatre. Malgré la haute considération vouée par les plus jeunes à la médecine préventive, on est surpris par l’apparition des plus redoutables pollutions, c’est à-dire les auto-pollutions : ce que chacun met en trop dans son cendrier, son verre, son assiette (en D 5), son carburateur et son armoire à pharmacie.

Entre étudiants, il y a matière à débattre sur l’art de la sous-colle, l’assiduité aux enseignements, l’intérêt de l’internat, le travail après dîner, les certificats de retard, la chute du rendement avec l’âge et le contenu des commentaires libres.

 

 

III, Actions à envisager

Diverses traditions des universités, des pouvoirs publics et des étudiants sont-elles à réviser ?

A, Traditions des universités

En allongeant la durée des études, a-t-on examiné si les années qui suivent la quatrième égalent les précédentes en disponibilité et capacité de concentration des l’étudiants ? Les années “supérieures” ne seraient-elles pas inférieures du point de vue de leurs performances ? Au moment où le programme devient réellement formateur, s’est-on demandé si l’intérêt de l’étudiant pour quelque matière que ce soit ne s’est pas émoussé ?

N’aurait-on pas gaspillé le temps et l’argent des étudiants, de leurs parents et des collectivités pour finalement manquer le but ? Les progrès de la docimologie pourraient mener à imaginer mieux que l’écartèlement entre la Faculté et l’internat. D’autres sondages pourraient s’adresser aux enseignants et au corps médical.

Des concessions seraient-elles à suggérer aux fondamentalistes comme aux enseignants cliniciens ?
Aux fondamentalistes, d’ajuster l’ampleur et le moment de leurs contributions à des objectifs définis au terme d’une concertation vraie ?
Aux enseignants cliniciens, de consacrer chacun davantage de temps aux étudiants, sachant que la répétition est la base des enseignements ; et de donner davantage de place aux pathologies fréquentes ? Ce serait plus important que de demander aux étudiants leurs appréciations sur les enseignants, ce qui est courant à l’étranger (Guilbert 1976).

B, Traditions des finances publiques

Sans revenir sur les aides en espèces, bien discutées par le CREDOC, insistons sur les aides en nature : restaurants, bibliothèques et documents, logis. Si ces aides étaient personnalisées comme les aides en espèces, on verrait moins de faux étudiants submerger les restaurants, voire les cités universitaires.

C, Traditions de l’opinion étudiante.

Les réponses au sondage ont été loin d’admettre que l’insuffisante démocratisation résulte du caractère trop égalitaire des aides. Est-ce une réaction de classe ou le reflet de préoccupations immédiates ?

Revaloriser les bourses au détriment de la gratuité nécessiterait une lente évolution des mentalités. La date et les modalités de la sélection, les certificats de retard, l’assiduité requise par une pédagogie moderne et le contrôle continu mériteraient des débats publics en début d’année.

Si des concessions sont à attendre de toutes parts, les chances d’une négociation globale émergeront-elles ?

D, Sans attendre

De modestes améliorations sont à portée de main : réunions des plus jeunes avec leurs aînés en début d’année ; externes volontaires aux urgences entre 18 et 23 h ; horaires d’enseignements tenant compte des repas et de temps propices à la camaraderie ; stages chez les praticiens ; modernisation de la docimologie et de la pédagogie.

Étudier l’étudiant est bien peu si on n’expérimente pas. Quelle place l’autonomie des Facultés laisse-t-elle à l’expérimentation, sachant que le programme le plus contesté, celui de P 1, a été fixé par la loi sans consultation des intéressés ni évaluation ultérieure ?

 

Références connues en 1977

Deux thèses et un mémoire consécutifs à ce sondage en développent certaines parties :

- Letourmy J: Préoccupations des étudiants en médecine en fin de deuxième cycle (DCEM). Analyse des commentaires spontanément ajoutés à un questionnaire d’enquête adressé aux étudiants de l’UER Broussais-Hôtel-Dieu en 1976. Thèse Méd Paris Broussais 1976. (Cette thèse contient aussi l’intégralité du questionnaire.)
- Maussion E: L’étudiant en médecine : sa santé physique et psychique ; la crise en DCEM 3. Thèse Méd Paris Broussais 1977. (Cette thèse récapitule les réponses des étudiants de DCEM 3 en 1976 : leur “dépolarisation”, leur crise)
- Cohen J: Attentes et motivations des étudiants en médecine. Étude de quelques variables modératrices : le sexe, le niveau d’études. Mémoire pour le C3 de Psychologie différentielle, INOP, 41 rue Gay-Lussac, Paris 1977

Autres références :

- Guilbert JJ: Guide pédagogique. O.M.S, Genève 1976, réf . HND/76.1
- Lemmenicier S, Lévy-Garboua L, Millot B, Orivel F. L’aide aux étudiants en France ; faits et critique. Rapport du CREDOC et de l’IREDU, Paris 1975
- Lévy-Garboua L. Les demandes de l’étudiant, ou les contradictions de l’université de masse. Rapport du CREDOC, Paris 1975
- Raynaud JD, Touraine A. Deux notes à propos d’une enquête sur les étudiants en médecine. Cahiers Internat Sociol 1956; 20: 124-148

 

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Relire ci-dessus :

Résumé
Rapport : techniques, résultats
Variations des contraintes subies


Variations des options et comportements
Variations des jugements des étudiants
Singularités de chaque année

Discussion
 : - Interprétation des résultats
- Informer l’étudiant
- Actions à envisager
Références

 

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